« Les lacets orange sont désormais proscrits: le rouge est de rigueur. »

Chers camarades lecteurs,

À Kartoffelgrad, les nouvelles naissent comme les patates : de la terre locale, rincées par la pluie, pesées collectivement. Ce matin, le Bureau des Extérieurs du PCPK a remis un dossier cartonné, tampon rouge encore humide : EXT-02 : deux éléments non déclarés. Il établit que, lors de notre premier match officiel, deux personnes non résidentes ont intégré l’équipe du Spartak Kartoffelgrad. De quoi soulever des questions, dans le peuple comme au Parti. Le PCPK a tenu à préciser, lors d’une communication sur Radio 35.2 FM, qu’il s’agit d’une initiative individuelle du camarade-entraîneur Eeli De Weerdt et que celui-ci est désormais sous enquête. Rien d’illégal, rassurez-vous, mais tout à comprendre.

Sous l’œil calme de la camarade-commissaire Erika Vogt, le Bureau des Extérieurs a convié les deux adolescents à s’expliquer. Ils sont arrivés à vélo, lacets orange bien serrés, une tartine au fromage à la main. Reçus poliment, ils ont chacun rempli le Formulaire P-1989, puis les tests sont tombés comme la bruine : « Épluchez-moi cette bintje », « Frites : cuisson simple ou double ? », « Avez-vous déjà travaillé aux champs ? ». Des notes furent tracées à la craie, aussitôt effacées dès accord collectif. Comme il se doit.

Lors du match amical du mercredi, la tribune en tôle chantait sous la bruine ; la banderole « Du sol naît la force » claquait comme une consigne. À la buvette Chez Mémé Irma, la soupe de poireaux servait de parlement liquide. Le peuple s’exprima à voix posée, à idées fermes : « S’ils roulent bien le “r”, ça passe », proposa un camarade d’ouverture surveillée. « Trois générations minimum de Kartoffelgrad ! », répondit une camarade, soucieuse d’arbres généalogiques et de racines profondes. D’autres avaient différentes préoccupations : on murmurait qu’un bruit de pompe avait été entendu durant dans la nuit : « Quelqu’un siphonnerait-il nos sillons ? »

Le soir même, à la Maison du Peuple, la camarade Erika présenta les faits : règlement, chronos d’épluchage, résultats au QCM friture. Le camarade entraîneur, la voix plate comme un terrain d’hiver, reconnut une omission : « Je n’ai pas voulu froisser la communauté; je voulais aider l’équipe ». Le Parti prit acte, sans commenter.

Joseph Barakafritz, notre cher camarade Ministre des Sports et de la Jeunesse, se leva. Il parla lentement de dignité, de patience, de souveraineté locale. Il rappela que le Spartak est à nous, joué par nous, pour nous. Puis, par précaution, il proposa le gel des transferts : jusqu’à nouvel ordre, aucun extérieur n’intégrera le club. Les deux éléments concernés seront évalués plus longuement: aux champs pour la patate, au terrain pour le jeu. Le peuple compte, la patate aussi. D’un ton égal, il ajoute : « Par unité chromatique et pour éviter toute confusion avec des couleurs non homologuées, les lacets orange sont désormais proscrits: le rouge est de rigueur. »

Avant de lever la séance, le camarade Raoul glissa un volet d’organisation : « Les jours de match, nous améliorerons la sécurité de notre village et de notre patrimoine : entrées, sorties, buvette, vélos, tracteurs feront l’objet de contrôles scrupuleux. Par ailleurs, certains indices nous imposent de renforcer la vigilance le long du canal : en aucun cas nos sillons ne doivent être siphonnés. Enfin, nous devons protéger nos recettes. La soupe de Mémé Irma restera en vente à la buvette mais la marmite sera placée derrière un rideau, et son carnet de recettes sera conservé au coffre les jours de match. »

Un silence bref. Puis les mains se levèrent : motions adoptées. La salle respira. Le chroniqueur de Radio 35.2 FM nota pour le bulletin de l’aube : « Continuité, sérénité, discipline. ». Otto, quant à lui, vérifiera le canal dès demain.

Dehors, la bruine avait repiqué les lignes du terrain et nous avons fermé la Maison du Peuple sans fracas : les décisions solides n’ont pas besoin de claquer.

Pavel Rouge,
Fier producteur de bintjes